Placé en résidence surveillée depuis deux mois, le général Jean-Marie Michel Mokoko a reçu la visite les 22 et 23 mai du sulfureux Jean-Yves Ollivier, et de l’ambassadeur français à Brazzaville Jean-Pierre Vidon, venus lui demander de reconnaître sa défaite. « Ils croyaient me faire peur et pensaient que j’allais m’aligner ! », rétorque le principal opposant au président Sassou-Nguesso.
Depuis le 5 avril dernier, le général Jean-Marie Michel Mokoko vit reclus dans une villa du centre de Brazzaville, la capitale du Congo, encerclée nuit et jour par des hommes de la brigade antiterroriste. Arrivé en troisième position de l’élection présidentielle du 20 mars 2016 qui a, sans surprise, consacré la victoire du président Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis plus de 20 ans, le principal opposant du régime vient de vivre une bien étrange aventure. Digne des plus belles années de la Françafrique.
Il y a une dizaine de jours, alors qu’il n’avait pas eu le droit de s’approvisionner depuis trois semaines en nourriture et en médicaments, Jean-Marie Michel Mokoko a reçu la visite de deux personnalités françaises : d’abord, dimanche 22 mai, celle de Jean-Yves Ollivier, un intime du potentat congolais et acteur bien connu des réseaux africains depuis les années 1980 ; puis, le lendemain, celle de l’ambassadeur de France au Congo, Jean-Pierre Vidon, sur le départ après deux ans passés à Brazzaville. Tous deux sont venus lui faire passer le même message, comme l’a appris Mediapart : qu’il accepte sa défaite et permette ainsi à la France d’aller de l’avant dans sa relation avec le maître de Brazzaville. En échange de sa liberté.
Contacté, le général Mokoko estime « très choquantes »ces initiatives qui ont été, selon lui, « concertées » etsont« des pratiques d’un autre âge ». Il raconte comment Jean-Yves Ollivier, dont il avait fait la connaissance trois mois auparavant,s’est montré ce jour-là particulièrement pressant. « Il m’a dit qu’il avait été mandaté pour parler au nom d’une autorité étrangère au président Sassou et que ce dernier avait un message : “Les choses vont s’arranger avec la France et vous, vous êtes le dernier des Mohicans. Vous vous prévalez du soutien de la France. Vous devez reconnaître votre défaite [à la présidentielle – ndlr].” »
Selon son récit, Jean-Yves Ollivier prend congé en annonçant la visite imminente de l’ambassadeur Jean-Pierre Vidon. « Il m’a dit qu’il viendrait mevoir le lendemain et qu’il me transmettrait aussi ce message », sesouvient le militaire.
Lundi 23 mai, comme annoncé, l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire Jean-Pierre Vidon sonne à sa porte : « Il était beaucoup plus fin dans ses manières qu’Ollivier. C’est un diplomate. Mais le contenu était le même. Il m’a dit : “Il serait peut-être temps que…Vous devriez… Il me semble que vous étiez sur le point de faire une déclaration. Il faut trouver le moyen d’apaiser la situation peut-être en donnant une interview.” J’ai répondu que celui qui avait la clé de l’apaisement,c’était le président Sassou et que je ne renierais pas mes convictions »,raconte Mokoko, qui rappelle que le scrutin présidentiel du 20 mars a été largement truqué et qu’il aurait dû arriver au second tour. « L’ambassadeur a conclu sur ce chapitre en disant qu’il devait rendre compte de notre entretien à Jean-Yves Ollivier, qui reviendrait ensuite me voir. À ce moment, je n’ai pas cru un instant qu’il soit venu parler au nom de la France ! », ajoute-t-il.
L’opposant congolais, qui explique souffrir d’une lombalgie et d’hypertension, attendait aussi que l’ambassadeur de France lui apporte les médicaments dont il manque. Mais le diplomate est arrivé les mains vides, expliquant, selon le général Mokoko, qu’il n’avait pas voulu prendre cette responsabilité,« par prudence ». « Il m’a dit : “Cela fait deux ou trois mois que vous n’avez pas vu un médecin. Est-ce que cela vous dérangerait si celui de l’ambassade [de France]venait vous voir ?” J’ai répondu que non, mais rien n’est encore arrivé et Jean-Yves Ollivier n’est jamais revenu… » Le soir même, dans l’entourage du général,l’histoire se répand comme une traînée de poudre, parvenant, selon nos informations, aux oreilles de la cellule diplomatique de l’Élysée et du Quai d’Orsay.
Le ministre Jean-Marc Ayrault se serait même dit « outré », selon ces sources.
Contactés, le Quai d’Orsay puis l’Élysée confirment la visite de l’ambassadeur. Mais affirment catégoriquement que ses instructions étaient « claires » : il n’était absolument pas mandaté, dit-on à Paris, pour convaincre le général Mokoko de reconnaître le résultat des élections, mais pour s’enquérir de sa santé. « L’Élysée confirme que l’ambassadeur a rendu visite la semaine dernière au général Mokoko pour s’enquérir de sa situation humanitaire. C’étaient ses instructions », explique-t-on au Palais, sans plus de précisions.
Plusieurs sources diplomatiques affirment également que la France s’est inquiétée à plusieurs reprises auprès des autorités congolaises du blocus imposé depuis 21 jours au général Mokoko. Et que son ambassadeur est le seul représentant de la communauté internationale à avoir obtenu l’autorisation de Denis Sassou-Nguesso de rendre visite à l’opposant.
« Ils croyaient me faire peur. Ils se sont trompés de client »
Mais Jean-Yves Ollivier, qui préside la Fondation de Brazzaville dont l’Alma Chamber Orchestra est partenaire (l’orchestre où joue Anne Gravoin, l’épouse de Manuel Valls) et a été décoré en juin 2015 de la Légion d’honneur des mains du premier ministre, confirme avoir échangé avec l’ambassadeur Vidon. Et pour cause : selon le récit de ce très proche de Denis Sassou-Nguesso, il a accepté une “mission de médiation” entre l’opposant et les autorités de Brazzaville. « Le gouvernement congolais m’a autorisé à rendre visite au général Mokoko. Je me suis rendu dans sa résidence à plusieurs reprises », explique Ollivier. L’objectif :
parvenir à une déclaration« reconnaissant un état de fait et la décision de la cour constitutionnelle [et donc l’élection de Sassou –ndlr] et demandant au gouvernement de rendre au général Mokoko sa liberté d’action et ses prérogatives d’opposant légal et non violent », selon l’homme d’affaires.
Celui-ci croyait avoir convaincu le général, bien connu des Français depuis qu’il a dirigé la force africaine en Centrafrique (Misca). En vain. C’est là qu’il explique avoir« informé » les autorités françaises. « Je suis français. Et il était de mon devoir d’informer les Français de cet échec provisoire de la mission de médiation », avance Ollivier. Quels« Français » ? « DesFrançais autorisés », dit-il. « Il est alors décidé que la France va appuyer un retour à cette médiation. Cet appui s’est matérialisé par la visite de l’ambassadeur Vidon », poursuit Ollivier. Il confirme également avoir prévenu en personne Mokoko du rendez-vous avec le diplomate français. « Après sa visite, j’ai eu un échange avec l’ambassadeur, raconte encore l’homme d’affaires. Il m’a dit qu’il avait passé un message d’apaisement et en faveur de la reprise des négociations, mais que le général Mokoko n’avait pas semblé répondre à ses recommandations. »
L’épisode est en tout cas révélateur du positionnement de la France vis-à-vis du Congo de Denis Sassou-Nguesso. Ce n’est plus le soutien franc et massif d’antan, savamment mis en scène par des agences de communication bien implantées sur le continent. Mais c’est un solide mariage de raison, qui continue d’indigner la société civile congolaise.
En octobre 2015, quand Denis Sassou-Nguesso a organisé un référendum pour modifier la Constitution afin de se maintenir au pouvoir, la France était attendue au tournant. Les mois précédents, le président français avait appelé à plusieurs reprises les chefs d’État à respecter les constitutions. Mais à l’approche de l’échéance, François Hollande a complètement changé de discours : « Sur le Congo,le président Sassou peut consulter son peuple ; cela fait partie de son droit, et le peuple doit répondre. Une fois que le peuple aura été consulté, et cela vaut pour tous les chefs d’État de la planète, il faut veiller à rassembler, à respecter et à apaiser », avait-il indiqué en octobre dernier. Les États-Unis avaient, eux, défendu une position opposée.
Quelques mois plus tôt, quand Sassou s’était rendu à Paris, Manuel Valls s’était déplacé en personne, à son hôtel de luxe, pour le rencontrer. Une visite très surprenante pour un premier ministre, dans un cadre privé, en dehors de tout agenda officiel, alors que le président congolais préparait déjà son référendum et qu’il est poursuivi en France dans l’affaire des biens mal acquis (lire notre enquête sur les réseaux africains de Manuel Valls).
À Brazzaville, l’opposition compare régulièrement l’attitude des autorités américaines et françaises en accusant ces dernières de grande complaisance avec le régime. L’ambassadrice américaine Stephanie Sullivan est saluée par tous pour son travail, alors que son homologue français, Jean-Pierre Vidon, semble invisible. « Elle reçoit les opposants, va les voir même, et parle avec tout le monde quand Vidon est complètement absent », confiait en mars dernier à Mediapart une source bien informée.
Pourtant, à ce jour, la France n’a pas fait le moindre commentaire officiel sur la réélection de Sassou. Il n’y a pas eu de communiqué de félicitations de l’Élysée. Mais un communiqué critique du Parti socialiste, dénonçant le 25 mars « l’absence de transparence de l’élection présidentielle ».
Le 22 avril, le porte-parole du Quai d’Orsay a quant à lui affirmé que « les conditions d’organisation du scrutin présidentiel au Congo, notamment la coupure des communications pendant l’essentiel des opérations de vote et de dépouillement,ne permettent pas d’en apprécier les résultats officiels ». Avant d’ajouter : « En l’absence d’une transparence suffisante pour certifier la crédibilité des résultats, la France encourage les autorités du Congo au respect, au dialogue et au rassemblement de l’ensemble des sensibilités politiques du pays. »
En attendant, à Brazzaville, le général Mokoko, coupé du monde, est toujours accusé par le régime de vouloir fomenter un coup d’État, sur la base d’une vieille vidéo de 2007 où on l’entend converser avec des barbouzes proches de la DGSE. Il dit ne pas savoir « à quelle sauce » il va désormais être mangé. « Ils croyaient me faire peur et que j’allais m’aligner. Ils se sont trompés de client car je n’ai peur de rien ! », dit-il.
SOURCE : Mediapart Nous suivre sur twitter: @Brazzanews
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