C’était il y a trois semaines. Alors qu’on se réunissait à Paris pour rechercher activement une solution à la crise multidimensionnelle qui sévit au pays, Le lion de Makanda, notre doyen, proposait alors une solution audacieuse qui visait à mettre en place un mouvement politique structurer autour des valeurs de la famille. Concrètement, il s’agissait de considérer que seuls l’amour et la solidarité pouvaient être les vecteurs d’une construction démocratique. Tout en partageant cette analyse lucide, il apparaît toutefois nécessaire d’aller plus loin pour voir que l’élection présidentielle au suffrage universel, en l’état actuel, ne peut permettre la construction d’un Etat uni. Au-delà des aspects liés à l’unité nationale, il convient de voir que l’élection populaire du chef de l’Etat en République du Congo est à la base de nombreux dérèglements démocratiques, ou pour ainsi dire des effets pervers tels que la personnalisation du pouvoir, les nombreux conflits d’intérêts ( Christel Nguesso/ député et responsable d’une entreprise publique ou encore Sassou lui-même, président et membre du Bureau politique et du Comité central du PCT) ou encore la politisation de la force publique. L’idée semble t-il surprend, puisque le débat sur l’élection présidentielle au suffrage universel est totalement banni des milieux politiques, médiatiques et de façon plus étonnante, dans les milieux universitaires. De cette manière, Pour les observateurs de la vie politique congolaise, l’élection populaire du chef de l’Etat semble être une évidence irréversible. C’est oublier que l’introduction d’une telle consultation ne date que de 1992. Mais force est de constater que si la première élection avait suscitée enthousiasme et ferveur populaire, les suivantes ont été des rendez-vous politiques ratés, faisant dire à Jean-Pierre Thystere Tchicaya que « l’élection présidentielle n’est plus la fête de la démocratie au Congo ».
Ainsi peut s’expliquer la persistante abstention constatée dans les urnes. Depuis 2002, c’est le désenchantement qui domine. Comment concilier dès lors un régime dans lequel le chef de l’Etat est détenteur de l’essentiel des pouvoirs avec une élection directe de ce dernier, marquée par une faible participation populaire ? L’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct consiste en une onction populaire conduisant à une forme de sacre électif censé permettre d’asseoir la légitimité du président. Ainsi, dans un régime où toute l’architecture des pouvoirs tourne autour de la fonction présidentielle, l’enjeu de la discussion sur les modalités de l’élection du chef de l’Etat est primordial : c’est l’image même de la démocratie et peut-être son essence qui se joue. Au Congo, comme en Afrique en général, l’élection directe du Président de la République est souvent source de crise politique. L’actualité est là pour le rappeler. Aucune année ne passe sans la peur d’une guerre civile dont l’origine est souvent l’élection du Président de la République : hier Madagascar, la Côte d’Ivoire. La prépondérance présidentielle, conséquence de son mode de désignation, semble être en Afrique l’oiseau de mauvais augure constitutionnel. Pour Pépin Boulou, « les scrutins en Afrique et au Congo en particulier sont désormais assimilés à des événements cataclysmiques annoncés, qu’il faut affronter courageusement. On peut donc les comparer à des cyclones impitoyablement dévastateurs ». Cette observation est confirmée par les propos tenus par l’ait un des candidats de l’opposition à quelques jours de l’élection présidentielle de 2009 : « Cette élection nous prépare droit à l’affrontement ». Il y a un donc un constat qui peut-être fait par rapport aux trois élections présidentielles organisées au Congo. C’est celui d’une ambiance de guerre civile à l’orée de chaque consultation. En absence de véritable affrontement idéologique, c’est la course à la corruption effrénée et à l’accaparement de la présence médiatique conduisant à deux inégalités : une inégalité de fait et une inégalité de droit. De même, cette consultation électorale conduit à la division du pays, puisque, malheureusement, le fait générateur de la candidature est souvent la région d’appartenance et non pas le programme politique. Une élection présidentielle fondée sur des inégalités de fait. Lorsqu’il était président en 1996, pascal LISSOUBA affirmait « qu’il n’organiserait pas les élections pour les perdre ». Ces propos n’est sont pas choquants en soi s’ils illustrent la volonté d’un candidat à sa propre succession de se doter des moyens partisans pour être réélu. En revanche, elle pose un véritable problème démocratique lorsque le titulaire de la fonction présidentielle utilise pour sa réélection des moyens étatiques, rompant d’une part l’obligation d’égalité entre les candidats, et d’autre part la nécessité d’une neutralité de l’administration. L’affirmation de Lissouba semble être la règle, tant elle s’applique sans discontinuité depuis plus de dix ans. En effet, à l’exception de l’élection présidentielle de 1992, toutes les consultations présidentielles suivantes ont été marquées par une campagne à sens unique favorisant le Président sortant. Ce régime de faveur est d’abord palpable d’un point de vue médiatique. En 2002 comme en 2009, la chaîne de radiotélévision nationale s’est mise systématiquement en campagne pour la réélection de son champion. Le rôle des médias dans une telle campagne n’est plus à démontrer. L’omniprésence médiatique du candidat sortant explique au moins partiellement le sentiment que lors des élections présidentielles au Congo, les dés sont jetés d’avance.
L’absence de médias d’opposition, couplée avec la partialité des médias d’Etat, empêchent toute forme de concurrence équitable entre postulants. L’hebdomadaire Talassa, a pu ainsi dire en 2009 qu’ « il s’agissait d’une campagne à deux vitesse ». Cette omniprésence médiatique s’accompagne d’une visibilité sur le terrain, marquée par des posters géants, des banderoles et autres calicots vantant les réalisations du sortant. Lorsque l’on sait que la notoriété est une condition nécessaire et ne s’improvise pas, on s’interroge sur la capacité de l’opposition à présenter un candidat reconnu par tous et susceptible d’accéder à la responsabilité suprême. Une élection présidentielle fondée sur des inégalités de droit. S’il est un constat communément fait, c’est celui, des grandes chances du sortant, dans une élection présidentielle de se faire réélire. Cette réélection quasi-systématique des sortants est encore plus vraie en Afrique : au Gabon, au Cameroun, au Congo ou encore au Burkina-Faso, les présidents-candidats sont réélus avec des scores staliniens. Outre l’omniprésence médiatique et les importants supports de campagnes déployés, favorisant une inégalité de fait, la maîtrise de l’appareil d’Etat et de la commission chargée d’organiser les élections expliquent en grande partie la survivance d’élections sans suspense. Au Congo, comme dans la majorité des pays du Continent, l’élection présidentielle est organisée par une commission d’organisation des élections, dite « indépendante ». Or, à la lumière des faits, cette commission n’a qu’une indépendance fictive.
Pour ce qui est du Congo, il s’agit d’un serpent de mer électoral, dont tous les candidats réclament l’impartialité depuis les années 1990.Tout au long de la période postélectorale, l’opposition n’a cessé de réclamer une commission véritablement indépendante soulignant au passage la mainmise du pouvoir en place sur l’organe censé organiser les élections. Ainsi, aux termes de l’article 17 de la loi électorale du 24 novembre 2001, la CONEL a pour mission d’organiser des élections et d’en garantir la régularité. Quant à l’article 18, il fixe sa composition. Elle comprend « des représentants de l’Etat, des partis politiques, et de la société civile ». Deux points assez ambigus méritent d’être relevés. En premier lieu, comme le fait remarquer le collectif des ONG de défense des droits de l’homme, il existe une ambiguïté quant au véritable rôle de la commission.
Car si la loi électorale prévoit qu’elle organise les élections, c’est le ministère de l’Intérieur par l’intermédiaire de la direction des affaires électorale qui est à la manœuvre. Pour les organisations de défense de droit de l’homme, « la CONEL devait clairement être nommée commission de supervision des élections car elle fait, en réalité que superviser ». A cet effet, la lecture des articles 15 et 16 est très instructive sur la question et confirme la position des ONG. Que reste-t-il à la CONEL puisque les principales opérations sont organisées par le ministère de l’Intérieur ? On comprend donc la farouche opposition des adversaires de cette Commission. En 2002 comme en 2009, les opposants n’ont pas obtenu la mise en place d’une commission détenant de véritables pouvoirs pour organiser et superviser les élections comme ce fut le cas avec la CONOSELA en 1993, avec des résultats certes mitigés mais en définitive acceptés par tous. Ensuite, le fait que la loi électorale prévoie la participation des partis politiques et même de la société civile ne garantit nullement son indépendance. Dans la mesure où c’est le chef de l’Etat qui nomme les membres de la commission, les nominations ressemblent plus à du débauchage qu’à une démarche consensuelle.
Les principales missions susceptibles de favoriser une élection transparente (recensement, distribution des cartes d’électeurs, établissement des listes électorales) relevant du ministère de l’intérieur, la Commission devient un simple commis légitimant la victoire annoncée du sortant. Cette faiblesse de la Commission se ressent durant la campagne : il arrive que les recommandations de la CONEL ne soient pas suivies d’effets. C’est notamment le cas lorsqu’elles concernaient le pluralisme dans l’audiovisuel public, les chaînes publiques continuant d’assurer en toute quiétude la campagne du président-candidat sans se soucier des consignes égalitaristes de l’organisateur de l’élection. Á la maitrise de la Commission indépendante vient s’ajouter la maitrise de l’appareil d’Etat qui, pendant l’élection présidentielle, se transforme en un Etat-partisan au service de la réélection du président. Il ne fait aucun doute que tous les fonctionnaires sont sommés de se placer dans le camp présidentiel ; cette triste situation est favorisée par les nominations de complaisances dont le seul critère retenu est l’appartenance ethnique ou partisane. Ainsi, il n’est pas rare de voir le directeur d’une administration publique appeler à voter pour le chef de l’Etat sortant. Un Vecteur de division ethnique Par ailleurs, l’élection présidentielle au suffrage universel doit faciliter la bipolarisation de la scène politique. Aux Etats-Unis, à la veille d’une consultation présidentielle, l’incertitude demeure sur l’identité du candidat mais pas sur son appartenance politique : tout le monde sait que le président sera soit républicain, soit démocrate. En France, depuis 1958, et à l’exception notable des élections présidentielles de 1969 et 2002, c’est un affrontement typique gauche/droite qui confirme le basculement du pays dans un camp ou dans l’autre. Au Congo, l’élection présidentielle ne permet pas de déduire l’état des forces politiques du pays. Personne ne peut dire aujourd’hui avec certitude ce que représentent des partis comme l’UPADS, le MCDDI ou même le PCT. Qui est le chef de l’opposition aujourd’hui au Congo ? Qui peut affirmer que M Kignoumbi Kia Mboungou est le leader de l’opposition congolaise ? Sans qu’il faille rechercher là un quelconque esprit de polémique, on peut être amené à conclure que l’élection présidentielle est un moment de cristallisation dangereux pour le Congo, en même temps qu’elle est un moment de non-alternance. Il est évident qu’en l’absence d’une confrontation idéologique, portant sur l’emploi, l’économie, la santé et autre, l’argument du politique au Congo est celui de l’appartenance ethnique. De ce point de vue, l’élection de 1992 tout en étant un modèle de transparence, a été aussi un moment de division ethnique sans pareil.
Tous les candidats se présentaient pour porter l’étendard régional, comme s’il s’agissait d’une élection régionale. De cette façon, Kolela se disait représentant du Pool, Thystère celui du Kouilou, Sassou des Mbochis, Yombi des Kouyous, seul Lissouba avait réussi magistralement de porter les couleurs de trois régions. Pourtant, est-il possible de se faire élire par sa seule région ? Heureusement non. Finalement, cette élection n’est pas si populaire que ça, puisque fondé non pas sur le verdict du peuple congolais, mais du peuple Nibolek, Lari ou encore Mbochi. Les partisans de ce sanctuaire vide, disent qu’il s’agit d’un pouvoir accordé au peuple et qu’ainsi, il s’agit d’un élément de modernité. Cet argument faible, au demeurant contestable, ne peut résister à une lecture comparative. En effet, ni dans les régimes parlementaires ou le Premier ministre est issu de la majorité parlementaire (Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne…), ni encore dans le seul régime présidentiel qui existe à ce jour (USA) le président de la République est élu au suffrage universel direct. Le Congo serait donc moderne avec Sassou et les USA archaïques avec Obama ? Foutaise. Il y a donc des dérèglements démocratiques évidents. L’élection présidentielle, a une fonction simple : celle de confier au peuple le pouvoir d’opérer un choix fondamental pour son avenir. Ce n’est pas le cas au Congo. Pour notre part, nous considérons que l’idée de revenir sur ce faux rendez-vous démocratique mérite d’être débattue
Analyse de : Vivien Romain Manangou , Juriste et Homme Politique
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